Edito - Faire merveille n°3
Pratiques obliques, contrats magiques
Faire merveille chemine avec la même intention de rendre visible là où l’art et notamment l’art chorégraphique, enchevêtré à d’autres disciplines, produit des gestes. Des gestes plus grands que le seul dessin qu’ils font dans l’espace, des gestes qui explorent des modes de relations, d’habiter, de résister… Des gestes qui se situent souvent très loin de l’économie marchande pour laquelle productivité et rentabilité sont des valeurs essentielles. Ils sont par là même difficilement reproductibles, ils agissent souvent localement, mais pas seulement et ont justement besoin de récits pour voyager, essaimer.
Nous avions envie dans ce numéro de traverser la question de ce qui nous oblige. Quel est donc ce lien qui nous lie lorsque nous participons à une création, une expérience artistique, un atelier de pratique ? Quel est donc ce contrat tacite qui crée société plus ou moins temporairement ? En tirant plusieurs fils de la notion de contrat, ce n’est pas une définition que nous avons trouvée, mais un ensemble de relations qui agissent comme un pouvoir, qui enclenchent des transformations, qui portent attention à des liens et qui peuvent également porter des revendications jusqu’au terrain du droit.
Le « contrat » d’Une danse ancienne qui lie des habitant·es à une forme de rituel dansé et situé devient une épopée sous le regard spéculatif de Mathieu Bouvier. En traversant le temps qui passe, les générations, les épisodes sombres de l’Histoire, cet émouvant récit en fait un acte fort face à notre finitude. Tandis que l’agilité des pactes de transformations proposés par Mathilde Papin à l’endroit de l’atelier, aiguise des effets magiques, stimule l’imaginaire. Il suffirait de les activer en se réunissant à volonté. Sans oublier les « contrecontrats » d’une pensée queer, revendiqués en réponse par Emma Bigé. Déplier cette notion est aussi un bon prétexte pour rendre hommage au Bureau des dépositions et à leur quête d’agir par le droit tout contre le droit.
De la même manière que l’usage du droit est appelé pour défendre les non-humains, le contrat dans l’art pourrait permettre de nous rassembler pour soigner des liens, prendre soin des relations, élaborer des réciprocités rêvées, s’outiller contre l’adversité…
Marie Roche, directrice du Pacifique